Journée d’Etude sur les Sites Mémoriels

Journée d’Etude sur les Sites Mémoriels du Patrimoine Mondial

Quelle place pour le tourisme dans la définition de la valeur universelle exceptionnelle ?

24 juin 2014

Cette journée d’étude a été organisée à la Sorbonne le 24 juin 2014 par l’Université de Laval (Québec) l’Université du Québec Trois Rivières ainsi que l’Université Paris I Panthéon Sorbonne et celle de Cergy Pontoise . La présentation de la journée a été centrée sur la méthodologie de l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Les conventions de 1972 et 2003 de l’UNESCO semblent opérer un partage entre un ordre matériel et un ordre immatériel du Patrimoine mondial. La notion de « lieu de mémoire » constitue un défi à cette césure : en effet, lieu marqué dans sa matérialité et ses paysages, il vaut essentiellement pour les enjeux mémoriels qui lui sont associés. Dans le même temps, l’établissement de la liste du Patrimoine mondial renvoie autant aux sites à préserver qu’aux objectifs qui la transcendent, en premier lieu « l’établissement de la paix dans le cœur des hommes et femmes », selon la devise de l’UNESCO. Les lieux de mémoire semblent ainsi à la fois en excès et emblématiques des objectifs du Patrimoine mondial.

Au cours des dernières années, un petit nombre de sites mémoriels, liés à des événements douloureux, a été inscrit sur la liste du Patrimoine mondial, non sans soulever des questions : Auschwitz-Birkenau et le dôme Genbaku – mémorial de la paix d’Hiroshima renvoient aux horreurs de la deuxième guerre mondiale ; l’ile de Gorée mondiale : l’ile de Gorée au commerce triangulaire ; le Morne Cultural Landscape à la lutte contre l’esclavage ; Robben Island aux luttes contre l’apartheid. Ces lieux parlent diversement aux populations du monde entier et questionnent le principe de la valeur universelle exceptionnelle, sous l’angle notamment du partage mémoriel par-delà les points de vue nationaux ou communautaires.

Au moment où sont inscrits sur la liste indicative française deux biens liés à la grande guerre et au débarquement de Normandie, ce séminaire vise à questionner le lien entre tourisme de mémoire, sites mémoriels, et visées d’universalité emblématisées par l’inscription au Patrimoine mondial. En effet, ces sites d’une mémoire douloureuse sont déjà connus internationalement, et fréquentés par des catégories très variées de visiteurs, touristes de passage ou « pèlerins » témoins directs ou descendants », adolescents en voyages scolaires ou seniors amateurs d’histoire, nationaux ou étrangers.

Cela invite à questionner la construction de la valeur universelle (VUE) sur ces sites en intégrant les formes d’appropriation locales et celles liées au développement d’un tourisme international. Nous souhaitons ainsi plus spécifiquement interroger le lien entre tourisme et valeur universelle exceptionnelle : comment intégrer le tourisme à sa définition, à son énonciation et à son actualisation ? Le tourisme vient-il nécessairement a posteriori ou constitue-t-il une dimension structurante de l’énoncé de cette VUE ? le tourisme, parce qu’il suscite l’intervention d’acteurs entretenant des rapports divers voir divergents au passé, à la mémoire et aux lieux, n’interroge-t-il pas la pluralisation possible des façons d’énoncer la valeur universelle exceptionnelle sur les sites liés aux mémoires douloureuses ?

La première session du séminaire constitue une mise en perspective de ces problématiques, en questionnant la signification d’une inscription au Patrimoine mondial des sites d’une mémoire douloureuse, et leur relation au tourisme. La seconde session présente la construction d’une candidature UNESCO pour deux sites français : le site de la grande guerre, et celui des plaques du Débarquement de Normandie. Enfin, la dernière session questionne l’universalité à partir de la diversité des pratiques touristiques, ce qui pose la question de leur observation.

La diversité des intervenants a permis une approche riche et novatrice des différents dossiers.

L’intervention de Serge Barcellini

Elle a été centrée sur les points forts du dossier porté par l’association « Paysages et Sites de Mémoire de la Grande Guerre.

1 – les raisons d’un projet

L’élaboration du projet d’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO des sites funéraires et mémoriels de la 1ère guerre mondiale est issue d’une double réflexion.

Réflexion sur le centenaire lui-même.
Le centenaire marque le passage entre le temps de la mémoire et celui de l’histoire ; il souligne la prééminence des sites (ici il s’est passé quelque chose) sur les hommes (ils y étaient)) ; et se traduit par une exceptionnelle montée en puissance des collectivités territoriales et des acteurs culturels de gestion. Réflexion sur la sortie du centenaire.

Le laisser-faire conduira inexorablement au développement d’une concurrence féroce entre les différents sites et ce d’autant plus que le tourisme de mémoire est désormais l’orientation majeure des politiques mémorielles. Face au laisser-faire une politique de coordination est possible. Elle passe par la création d’une nouvelle clientèle de site (les descendants grâce à la création d’un portail internet français mettant en ligne les 8M5 fiches signalétiques des combattants de la grande guerre) et une bonne gestion partenariale des principaux sites grâce à l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO de ces sites .

2 – les socles du projet

Le projet repose sur un triple socle :

● un socle conceptuel
Le projet s’inscrit dans le croisement entre une mémoire douloureuse (ex. : Auschwitz, Hiroshima) et une mémoire militaire (ex. : les forts Vauban)

● un socle de valeur universelle
La grande guerre marque un exceptionnel tournant dans le traitement des morts au combat. Avant 1914, seul l’officier avait droit à une sépulture et à la conservation de son nom patronymique – le corps du soldat finissait dans une fosse commune et son nom disparaissait.
A partir de 1914, le corps du soldat et son nom sont pérennisés . Ce tournant démocratique s’inscrit dans la lente évolution des sociétés – suffrage universel, instruction pour tous, droit associatif et syndical -.

● un socle de choix
Les sites majeurs proposés à l’inscription répondent aux quadruple critères : historique (les différents types de nécropoles en fonction de leur histoire) universalité (les combattants des différents nations) esthétiques (les spécificités de chaque site) et commémoratif (le développement d’une vie commémorative et pédagogique sur le site).

3 – la méthodologie

Elle est triple :

● une méthodologie historique. Le front de l’ouest a été privilégié. Les sites proposés sont ceux de la ligne de front de la mer du Nord à l’Alsace. Les autres fronts pourront se raccrocher à ce projet dans la mesure où les dossiers seront construits sur la même Valeur Universelle.

● une méthodologie bi-nationale. Le dossier est bi-national franco-belge. Il est construit en commun par la France, la Wallonie et la Flandre.

● une méthodologie associative. Le dossier est porté pour la France par une association qui fédère 14 des 15 départements du front : Nord, Pas-de-Calais, Somme, Aisne, Oise, Seine et Marne, Marne, Ardennes, Meuse, Moselle, Meurthe-et-Moselle, Vosges, Bas-Rhin, Territoire de Belfort.

4 – les défis

Le dossier est aujourd’hui confronté à 4 grands défis

● le défi du choix des sites. La quantité des sites proposés (plus de 105 aujourd’hui) est très (trop ?) importante pet connaître des évolutions.

● le défi des pressions. Le choix des sites dépend à la fois des élus locaux et des services gestionnaires des sites. Les pressions sont importantes.

● le défi de la gouvernance . Le projet doit présenter un véritable programme de gestion. Cela impose un travail partenarial entre les différents services gestionnaires des nécropoles français, allemands, Commonwealht, américains.

● Le défi du calendrier. Le calendrier idéal est le suivant :
▪ janvier 2014 : inscription du dossier sur la liste française
▪ janvier 2016 : dépôt du dossier à l’UNESCO
▪ juin 2018 : inscription des sites funéraires et mémoriels de la grande guerre au
patrimoine mondial de l’UNESCO

Annexe :

Programme de la journée d’étude