Les aumôniers militaires et les rites funéraires

Les aumôniers militaires et les rites funéraires

Ministres des cultes, les aumôniers militaires, titulaires, volontaires ou bénévoles, sont par fonction au centre des rituels funéraires.

Ils s’improvisent « fossoyeurs », aidant à identifier les corps, ce qui conditionne le travail de deuil des familles, et à les ensevelir. En mars 1915, l’abbé Thibaut quitte en dernier son secteur de Champagne car « il voulait rechercher encore nos derniers morts sur le terrain […]. Montant seul par-dessus le parapet, il ramena jusqu’à la tranchée les pauvres dépouilles que les brancardiers emportèrent jusqu’au cimetière voisin ». Des aumôniers aident aussi l’administration à repérer les tombes provisoires. L’abbé Liénart note dans son « carnet de sépultures » les noms des défunts et les lieux d’inhumations. Les clercs correspondent enfin avec les familles des tués, apportant une touche d’humanité aux avis officiels de décès.

Aumoniers
Enterrement d’un officier dans les Vosges – juillet 1915- Tableau de Joseph Felix BOUCHOR
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Mais ils célèbrent peu d’obsèques religieuses au front, car il y a beaucoup de morts, tandis que les bombardements empêchent les rassemblements. Le 30 septembre 1915, le P. Doncœur préside celles d’officiers du 35e RI tombés les jours précédents à la ferme de Navarin, à 1500 mètres derrière les lignes. Il passe ensuite devant « les centaines et les centaines de nos camarades, encore couchés sur l’herbe grise que leur sang avait tâchée ». Les obsèques religieuses se déroulent surtout à l’arrière, près des cantonnements ou des ambulances, ainsi que dans l’artillerie, où les moindres pertes et l’éloignement des tranchées permettent de le faire. Le rite se limite souvent à une bénédiction, sans office. « Tous les jours, c’est la répétition des mêmes funèbres cérémonies » L’aumônier, l’abbé Schuhler, « l’étole noire sur sa soutane, précède avec la croix l’humble cortège », formé d’un piquet de soldats et du fourgon. La mémoire des morts est honorée après coup lors de messes qui rassemblent de vastes assistances. Parfois ont lieu des cérémonies inter-confessionnelles. Après les combats de novembre 1914 en Argonne, ignorant la religion des défunts, les autorités sollicitent des ministres de différents cultes pour une prière commune, avant les oraisons propres à leurs rites. En absence d’aumônier de la confession des morts, un ministre d’un autre culte peut célébrer les funérailles.

Les aumôniers veillent au respect des rites. Or, dès l’été 1914, des croix de bois signalent les tombes improvisées. Ce symbole chrétien est en même temps celui de la mort, ce qui n’est pas toujours signifiant dans les armées multiculturelles. La République laïque s’en préoccupe même. En octobre 1914, le ministre de la Guerre rappelle les rites d’inhumation  des musulmans, qui n’ont pas d’imams pour les accomplir : la cérémonie doit avoir lieu en présence d’un coreligionnaire ; les tombes doivent être surmontées de deux stèles, placées au-dessus de la tête et des pieds, avec l’étoile et le croissant. De même, le GQG autorise en décembre 1915 les aumôniers israélites « à faire substituer aux emblèmes chrétiens une simple inscription » et demande qu’« à l’avenir, toutes précautions » soient prises pour éviter de placer des croix sur les tombes juives. En août 1916, les rabbins reçoivent du consistoire central des plaquettes en forme de tables de la Loi, bordées de tricolore, avec l’inscription, en français et en hébreu, « Que son âme repose en paix », à apposer sur les stèles.

Alegorie
Allégorie d’un prêtre priant pour les soldats morts© La bonne Presse – Droits réservés

Les aumôniers militaires veillent encore sur les sépultures, dans une démarche spirituelle, mémorielle et sacrale à l’égard des morts. Ils remplacent symboliquement les familles qui ne peuvent venir honorer leurs défunts pendant la guerre. Le chanoine Payen bénit le cimetière militaire de Cuperly (Aisne).

Xavier Boniface
Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Picardie Jules Verne