Pour évoquer la géohistoire des sites de Meuse et leur articulation avec les autres secteurs du champ de bataille, le tracé du front à la fin de l’année 1915 – ruban de tranchées qui se déploie sur plus de 700 km, pour une largeur qui dépasse souvent 10 km – offre une grande lisibilité. Cette année ne connut que des rectifications mineures sur un front déjà largement enterré : combats limités en Champagne et en Artois, soubresauts locaux de la « guerre des mines », dont les Hauts de Meuse et l’Argonne.
Considérons le seul département de la Meuse. Après avoir franchi la vallée de la Moselle d’est en ouest au nord de Pont-à-Mousson, le front pénètre dans la plaine de Woëvre (200-250 m d’altitude), guidé par la longue échine de deux buttes isolées en avant de la Côte de Meuse, le Montsec (380 m) et le Mont. La ligne de tranchées amorce alors une large boucle en forme de S. Elle grimpe le talus des Hauts de Meuse près du village d’Apremont puis dévale, sous les frondaisons des bois d’Ailly et de Gobessart, les « ravins » qui entaillent le plateau. Le site 49, Saint-Mihiel, présente le cimetière allemand de Gobessart, situé en forêt. Le front traverse ensuite la large plaine alluviale de la Meuse (220 m), aux méandres parsemés d’étangs, de bras morts et vifs. En septembre 1914, les Allemands avaient fortifié une étroite tête de pont sur la rive gauche. Ce fond du « saillant » de Saint-Mihiel coupe la voie ferrée stratégique qui reliait le camp retranché de Verdun à l’artère capitale Paris–Nancy. Le saillant fut le théâtre de l’offensive américaine de septembre 1918 (sites de Meurthe-et-Moselle).
Après avoir retraversé la Meuse, le front gravit à nouveau les Hauts de Meuse vers le nord-nord-est. Du talus qui domine la Woëvre, la vue porte sur la frontière du traité de Francfort et le Reichsland d’Alsace-Lorraine : à dix-neuf kilomètres d’Hattonchâtel (380 m) pointent les clochers de Rezonville et de Gravelotte, villages annexés. Le front descend vers la plaine entre les villages de Combres et des Éparges : les nombreux éperons qui dissèquent le plateau avaient fixé les sanglants combats de l’hiver et du printemps 1915. La composante majeure du site 48, Les Eparges, est la nécropole française du Trottoir, située non loin du monument du point X, qui offre un remarquable panorama sur la plaine de la Woëvre. Dessinant un grand arc de cercle tourné vers le nord, le front se tient, jusqu’au déclenchement de la bataille de février 1916, à distance de la puissante place fortifiée de Verdun, ceinturée à son orient par les forts de Moulainville, de Vaux et de Douaumont (396 m). Il retrouve les Hauts de Meuse au nord du village d’Ornes ; entre collines et vallons, jardins, vergers, prairies, champs et bois, la ligne serpente dans les terroirs de huit villages, aujourd’hui disparus « morts pour la France », et de quelques grosses fermes isolées (photo 1). A la fin de 1916, ce territoire rural serait anéanti. Une bataille de trois cents jours laisserait une terre « grêlée comme une peau d’orange », brassant militaria et restes humains en un immense et indicible cimetière (photo 2). Au cœur de ce champ de bataille, le site 45, La zone rouge de Verdun, forme le poignant Ensemble mémoriel de Douaumont, qui associe l’ossuaire, la nécropole nationale et, contigus à celle-ci, à l’ouest le monument israélite, à l’est le monument musulman. Le site 46, Verdun, concerne la nécropole nationale du Faubourg Pavé, intra-urbaine aujourd’hui, qui abrite des sépultures de soldats de tous les régiments engagés dans la bataille de Verdun. Quittant le plateau, le front franchit la Meuse pour la troisième fois, entre les villages de Brabant-sur-Meuse et de Consenvoye. Le site 47, Consenvoye, est un cimetière allemand de regroupement pour les soldats tombés entre Verdun et Stenay.
Sur la rive gauche du fleuve, sur les plateaux du Barrois et de l’Argonne, la ligne s’est figée au terme des violents combats engagés, à la fin de 1914 et en 1915, pour le contrôle de points d’observation. Parmi eux, vigies couronnant deux buttes, les villages de Vauquois (295 m) et de Montfaucon (336 m). Vauquois est anéanti par un chapelet d’entonnoirs de mines. Le site 44, Vauquois, présente la nécropole française de la Maize, isolé sur un versant boisé, proche des quelques maisons du village reconstruit au pied méridional de la butte. Montfaucon, occupé par l’armée allemande dans les premiers jours de septembre 1914, serait libéré par l’offensive américaine de l’automne 1918. Le site 43, Meuse-Argonne, retient le grand cimetière américain Meuse-Argonne, au superbe aménagement paysager, proche du village de Romagne-sous-Montfaucon. Après avoir franchi la vallée de l’Aire, le front disparaît sous les frondaisons de la forêt d’Argonne. Butant sur le val de Biesme au pivot du Four de Paris, il se coude avant de quitter, vers la vallée de l’Aisne et la Champagne, le profond massif forestier. Sur une quinzaine de kilomètres de front, se déroulèrent en 1915 les sanglantes batailles de la guerre des mines et, pendant quatre ans, une guerre d’usure meurtrière sous forêt. La composante meusienne du site 42, L’Argonne, présente le monument-ossuaire français de la Haute-Chevauchée et le cimetière national de la Forestière.
Photo 1 : Ferme des Chambrettes (commune d’Ornes), août 1915. Il n’en reste aujourd’hui que quelques pierres dans la forêt domaniale de Verdun.
Photo 2 : Cimetière français sous la futaie de l’Herbebois (commune d’Ornes), juin 1915 ; pulvérisé par les combats de 1916.
Les commentaires sur les photos sont du capitaine Toussaint (124e RI).