LA TETE DES FAUX

Secteur mémoriel de la Tête des Faux

Le sommet de la Tête des Faux domine de ses 1219 mètres les villages du Bonhomme, de Lapoutroie et d’Orbey ; il constitue un sommet stratégique pour franchir les Vosges. Le sommet est situé, à vol d’oiseau, à 1 km du Bonhomme, 3 km de Lapoutroie et 4 km d’Orbey. Les nécropoles françaises et allemandes élevées en milieu forestier bénéficient d’une exceptionnelle intégration paysagère. La Tête des Faux a aussi la particularité de posséder un cimetière créée pendant la guerre par l’armée française et deux cimetières crées par les Bavarois en janvier 1916, faute de place au sommet de la Tête des Faux pour enterrer les morts : les cimetières Eihexenweiherkirchoss dit Kahm, cimetière d’arrière-front, et le cimetière Rabenbühl, cimetière de front..

HR03 Cimetière militaire allemand Kahm

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Le cimetière Kahm est aménagé en terrasses sous couvert forestier et entouré partiellement de murs de pierres de granit local, mais il n’a pas de limite physique à sa partie supérieure pour permettre son extension progressive. Cette implantation, conforme à la tradition, s’établit sur un terrain pentu aménagé en gradins reliés par des escaliers qui structurent le cimetière. Les murets de pierres sèches sont pourvus de niches pour lampes (Hindenburglichter) ou statuettes religieuses du chemin de croix.

On y pénètre par un premier escalier imposant, puis on franchit un portique maçonné comportant une charpente et un toit de tuiles. Sur la gauche, un banc de repos en pierre invite à la méditation épousant le muret en arc de cercle autour d’un arbre. Les stèles se répartissent sur le pourtour le long des murs, du moins pour celles qui demeurent. Au fond se trouvent des plaques gravées insérées dans le mur d’enceinte. Les stèles se répartissent sur le pourtour le long des murs, du moins pour celles qui demeurent.

Sur l’une des stèles, on peut lire un texte dont la traduction proposée est la suivante: « Ici reposent nos braves camarades : 110- Werhman Seb.Link soldat du 3e régiment bavarois de Landwher, 5e compagnie ;- 111 le soldat Martin Lehner,- 113 le soldat Jean-Baptiste Hage,- 114 le soldat Magn. Shindele appartenant à la même unité, le 3e régiment bavarois. Tous tombés le 6 juillet 1916 au Buchenkopf. Ils reposent en paix. » Ce régiment occupait le secteur de la fin août 1914 à octobre 1914 puis il revient dans le secteur du Bonhomme jusqu’à la fin de la guerre.

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A noter que cette date du 6 juillet 1916 est également la date mentionnée sur le monument Demmler coté français. Sur la grande stèle triangulaire on peut déchiffrer quelques termes traduits comme suit : « Ici reposent Hans ( ?) Schneider, lieutenant, artilleur mort le 23 août 1916, Theodore Blecken du 8ème régiment bavarois de Landwher mort le 6 juillet 1916 au Buchenkopf. Maintenant ils reposent en paix ( ?) et ils vivent dans nos cœurs ». L’absence de sépultures individuelles serait liée aux lourdes pertes de la période. Quant à la forme triangulaire de la stèle (photo ci-dessous), elle peut être interprétée différemment : soit le triangle évoque le lieu de leur dispariton, le « Buchenkopf », connu sous l’appellation « Triangle » par les soldats, soit il symbolise la Trinité, représentation fréquente dans les temples protestants. Il pourrait indiquer ainsi la présence d’un carré protestant dans ce cimetière erigé par les Bavarois de tradition catholique. Les inscriptions qui subsistent sur quelques stèles sont des épitaphes gravées dans la pierre relativement longues et témoignent d’une certaine culture de la camaraderie. Elles nous renseignent sur les hommes qui y furent inhumés et nous montrent principalement le culte dont ils furent l’objet. Leurs stèles sont parfois de véritables créations artistiques (notamment celles du cimetière Rabenbühl, qui complète le cimetière Kahm cf 2.2), elles témoignent du culte du combattant. Par leur diversité, la qualité de leur décoration et de leurs épitaphes, elles font des cimetières de la Tête des Faux, un bien exceptionnel sur le front occidental. Elles fournissent également des indications sur le fonctionnement des cimetières. Ces cimetières nous renseignent aussi sur les pratiques funéraires et le concept du cimetière militaire de l’armée bavaroise, conçu également comme un lieu de réconfort pour les soldats.

Sur le côté droit se trouve une seconde entrée avec une volée de marche et un banc de repos  en bois qui a été restauré. Ce cimetière ne possède plus ses éléments en bois d’origine, mais son architecture demeure ainsi que les éléments en granit y compris l’autel de la chapelle. De plus, la structure du lieu est restée en place et fait de cet ensemble un lieu paisible assez particulier à l’authenticité indéniable. Dans l’ensemble, ces vestiges montrent un travail d’artisan remarquable et l’état d’esprit qui animait  les soldats bavarois. Ils sont parmi les plus ouvragés de la région. La pierre de granit y est largement utilisée.

Ces cimetières se démarquent tous les cimetières militaires du front y compris de celui des Uhlans  ou du Donon. Ce sont des biens inestimables par leur valeur artistique et culturelle.

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Le cimetière se nommait pour les Allemands « Hexenweiherkirchhof » du nom de l’étang « Hexenweiher » traduction de « devin » en allemand mais signifiant ‘’sorcière‘’. Il s’agissait d’un cimetière créé en 1916 par le lieutenant bavarois Kahm selon l’inscription d’entrée (bLIR.12). Il occupait une position d’arrière-front. A première vue, ce cimetière parait isolé mais il est en réalité intégré dans le système du réseau d’abris et établi au-dessus d’un hôpital de campagne souterrain, centre de tri pouvant accueillir 200 blessés qui delà étaient acheminés vers la vallée, notamment vers vers les hôpitaux militaires de Lapoutroie (Eglise et Hachimette), vers la plaine (Landwehr-Feldlazarett N° 13 à Kaysersberg, le N°2 à Kientzheim) et vers le Lazarett de Colmar (trains sanitaires). Mais tous ne survivaient pas et ce cimetière est créé pour inhumer les soldats décédés en ce lieu.

Des postes de secours régimentaires se trouvaient en contre-bas du sommet du Triangle défensif, poste de secours de l’Hexenweiher, le long du chemin partant de l’étang du Devin; le poste de secours du Buchenkopf. Ces postes de secours régimentaires permettent d’effectuer le premier tri des blessés avant leur acheminement à l’hôpital de campagne situé en contre-bas du cimetière Kahm. Et pour les soldats pour lesquels il est déjà trop tard, le cimetière « Rabenbühlkirchhof » dit Rabenbühl est construit, directement à proximité des lignes, à la même latitude que le cimetière Duchesne, coté français, sur le chemin entre l’étang du Devin et le Surcenord. Ces cimetières s’insèrent donc dans un espace historique complet et cohérent et sont donc en quelque sorte en résonance. Le cimetière de Rabenbühl, aujourd’hui en milieu forestier, était à l’époque élevé sur une pente dénudée. Le lieu-dit de Rabenbühl et le cimetière figurent sur les cartes militaires allemandes avant même la construction des grands abris souterrains.Un plan a également été réalisé en l’absence de plan historique.

D’après les inscriptions des stèles, ce cimetière est celui d’un bataillon, en 1916, celui du 5.bay.R.Kav.R., 5e  régiment bavarois  de cavalerie de réserve, dont le centre de commandement se situait à proximité.

Ces lieux sont riches d’enseignements car en effet, au début de la guerre, on enterre les soldats dans les cimetières civils comme à Orbey et à Lapoutroie, puis dans des sépultures individuelles ou communes disséminées sur les zones de combats comme l’illustrent les stèles du Donon. On érige un kern ou une croix et on place une planchette indiquant l’identité du disparu et parfois un souvenir. Puis on recourt à  des rochers plus ou moins sculptés comme stèles. A la Tête des Faux, les Bavarois crééent des petits cimetières dans ce triangle défensif. On en compte sur les cartes militaires d’abord trois mais les explosions déterrrent les corps et conduisent à leur réaménagement progressif. Les Bavarois rationnalisent l’organisation des sépultures pour mieux les entretenir, les identifier, elles sont presque toujours individuelles sauf en cas de combat intense. Ainsi les cimetières sont presque toujours localisés à proximité des arrières rapprochés et des services de santé pour éviter le transport des morts afin de moins ébranler le moral des soldats et des civils et aussi sans doute pour des raisons logistiques et sanitaires. Le cimetière de Rabenbühl est mieux conservé que celui de Kahm. En effet il a gardé son escalier, un splendide portique, sa chapelle, de plusieurs stèles disposées en demi-cercle sur la périphérie, la plupart artistiquement décorées et portant des épitaphes, et un muret le ceinture également. A proximité d’un front de plus en plus fortifié, ces deux cimetières allemands ont été créés en 1916, l’année de création du service des sépultures (Gräberverwaltung) car les Bavarois retrouvent dans ce secteur des corps sans sépultures y compris des combats des 2-3 et 23-24 décembre 1914 récupérés dans le no man’s land par le Werhmann Limmer. Ces cimetières ont été considérés par les autorités françaises après la guerre comme provisoires et les corps ont été exhumés, alors que pour les Allemands, il ne s’agissait nullement de cimetières précaires, lors de leur création. Les corps de ce cimetière ont été inhumés par les Français au cimetière d’Hohrod-Bärenstall sur le site du Linge où sont regroupés la plupart des tombes allemandes du secteur. Désaffecté, leur entretien est assuré par la commune de Lapoutroie et l’association des anciens combattants de Lapoutroie-Hachimette et les membres du 152e RI de Colmar. Des  cérémonies religieuses ont lieu, depuis les années soixante, à la chapelle de l’ancien cimetière de Rabenbühl à l’initiative de l’aumônerie du 15-2 de Colmar. Depuis quelques années la paroisse de Lapoutroie a pris le relais et organise en juillet tous les deux ans une cérémonie sur place. Ces sites funéraires sont très fréquentés par les allemands et les français et interpellent fortement les visiteurs.

 

HR04  Nécropole nationale française Duchesne

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Ce cimetière français atypique, se situe au carrefour Duchesne sous couvert forestier, fait exceptionnel pour un cimetière français, ceci lui confère une spécificité indéniable et une ambiance particulière. Il se démarque par son aménagement de toutes les nécropoles françaises.

Situé à proximité du champ de bataille, son plan reflète l’époque de son ouverture. Les souches d’arbres expliquent son irrégularité perpétuée par les plantations de pins postérieures. Sa scénographie diffère totalement de celle des nécropoles construites après la guerre. Les tombes des 294 soldats inhumés en tombes individuelles le sont dans des plots irréguliers bordés de blocs de grès réparties cependant de part et d’autre de l’allée centrale.  En son centre, un mausolée portant le mot Pax comme au cimetière du Wettstein et de Moosch, nous rappelle que dans ce cimetière reposent « Les Diables Bleus. Dans un ossuaire reposent 116 soldats en ossuaire.

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La nécropole Duchesne élevée à l’emplacement d’un important camp militaire bénéficie d’un couvert forestier, exceptionnalité parmi les cimetières français, ce qui lui confère une authenticité indéniable. Réaménagée en 1924 par le service de l’Etat civil français, elle regroupe les soldats morts à la Tête des Faux et ceux exhumés dans les petits cimetières communaux de Stosswihr, Soultzeren et du col du Bonhomme, soit un total de 291 tombes individuelles et 116 en ossuaire. Elle porte le nom du commandant Duchesne, chef de bataillon du 215e RI, mort le 2 décembre 1914 à la Tête des Faux. Les anciens « Diables bleus » d’Orbey ont érigé dans ce cimetière une croix en granit marquée du mot « PAX » en son centre, afin de remplacer la chapelle dédiée à Sainte Lucie qui tombait en ruine dans les années 1930. Le cimetière est classé monument historique depuis le 26 mai 1925.

Le sommet de la Tête des Faux est considéré en 1914 par les Français comme stratégique. Il fut l’objet d’une brève mais terrible bataille. Les hommes des 28e  et 30e  bataillons de chasseurs alpins (BCA) y gagnèrent leur surnom de « Diables Bleus », particulièrement lors de la bataille de la nuit de Noël de décembre 1914.

Dans la nuit de Noël, les Allemands lancent une violente attaque pour le reprendre mais échouent. Ils restent cependant cramponnés à quelques mètres du sommet. Cette attaque se soldera par la mort de 137 Français et de près de 200 pertes allemandes (dont 35 tués et 21 disparus) soit près de la moitié de tous les morts tombés à la Tête des Faux. Les escarmouches faisant régulièrement des morts ne cessent pendant toute la guerre.

Elevé à l’emplacement d’un important camp militaire français, le cimetière porte le nom du commandant Duchesne, chef de bataillon du 215e RI, mort à l’assaut de la côte de Grimaude. Depuis cet assaut, les chasseurs français sont restés maîtres de 95% du sommet pour le restant de la guerre. Ce cimetière qui fonctionne durant toute la guerre avait sa chapelle en bois et un portique d’entrée, qui n’est pas sans rappeler la tradition bavaroise observée dans les cimetières Kahm et Rabenbühl à proximité. Le 11 juin 1921, le champ de bataille de la Tête des Faux a été classé au titre des Monuments historiques comme vestiges de guerre par Gabriel Alapetite, le Commissaire Général de la République à Strasbourg, entité politique militaire et administrative instituée par l’Etat français au sortir de la guerre pour administrer les territoires reconquis. Après la guerre, les corps de ce cimetière devaient être regroupés au cimetière du Wettstein à Orbey dans le secteur du Linge selon les projets du Ministère de la Guerre et des Pensions. Mais une demande du 28 septembre 1923 de Henry Deffert, Président Touring Club de France, rappelle que ce cimetière comme celui du Calvaire, fait partie d’un site historique et en constitue l’un des éléments essentiel  ce qui justifie son maintien en l’état à perpétuité. Le Ministère par lettre du le 26 octobre 1923 veut passer outre arguant de du maque d’accessibilité du bien.

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Mais finalement, le Commissaire Général, par courrier du 4 février 1924, exige que le cimetière Duchesne soit pérennisé car il présente un grand intérêt au point de vue conservation de l’aspect du champ de bataille et demande également que les corps inhumés au cimetière du Calvaire, près du Lac Blanc, y soient rapatriés. Par décision du 22 février 1924, le cimetière est maintenu. En 1924, le cimetière est réaménage pour accueillir les soldats français morts autour du lac Blanc, du Lac Noir, de la Tête de Grimaude, du col de Luchpach,… initialement inhumés au cimetière du Calvaire.  Là reposent également  des corps exhumés des petits cimetières communaux de Stosswihr, Soultzeren et du Bonhomme. Là reposaient, à l’origine 49 militaires allemands inhumés aujourd’hui à Bärenstall. En 1932, le mauvais état de la chapelle en rondins de bois dédiée à Sainte Lucie soulève la question de sa restauration ou de sa démolition. Faute de moyens financiers le Ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts et le Ministère des Pensions décide son déclassement et sa démolition. En 1962, les anciens Diables Bleus d’Orbey expriment le souhait d’ériger dans ce cimetière une croix en granit marquée du mot PAX en son centre, afin de remplacer la chapelle originelle. La croix sera finalement érigée non pas à la place mais dans l’axe de la chapelle.

En 1970 c’est la question de l’entretien des voies d’accès au cimetière militaire Duchesne qui est soulevée et l’Office National des Forêts, la mairie d’Orbey, et le Ministère des Anciens combattants sont sollicités pour le financement des travaux. En 2008 un consensus semble avoir été trouvé pour le transfert du cimetière Duchesne par le Ministère de la Culture et de la Communication au bénéfice du Ministère de la Défense, Direction de la Mémoire du Patrimoine et des Archives (DMPA), mais sa pré-sélection pour le dossier de candidature sur la liste du patrimoine mondial l’empêche.

Initialement une cérémonie avait lieu une fois par an au mois de juin. Aujourd’hui la cérémonie commémorative est organisée tous les 2 ans, le deuxième dimanche du mois de septembre, par la section locale des Diables Bleus et la commune d’Orbey. Une messe en plein air est dite, un lever des drapeaux et un dépôt de gerbe sont effectués, régulièrement ponctués de chants ou de musique, auxquels assistent généralement  les autorités locales et les élèves des écoles. Les Chasseurs Alpins s’y rendent régulièrement en pèlerinage. Véritable marqueur du territoire, il fait partie des points remarquables identifiés du sentier de mémoire inauguré en 2014 entre le col du calvaire et l’hôtel refuge de l’étang du Devin sur 8 km y fait halte et évoque l’histoire du lieu.