Au sortir de la Grande Guerre, la Belgique pleure ses morts, militaires et civils(1).
Le sort des civils morts varie selon les circonstances. Certaines victimes des atrocités allemandes ont été regroupées dans un cimetière particulier (Tamines, Andenne, Melen,…), d’autres ont rejoint le cimetière communal. Dès 1919, la plupart des espions fusillés au Tir National sont ré-inhumés officiellement dans leur commune. Quant aux déportés décédés en Allemagne, ils seront rapatriés à partir de 1922.
Cimetière de civils fusillés à Melen en août 1914 – © Stéphanie Claisse
L’Etat décide de laisser les corps des soldats belges là où ils sont tombés, « en terre sacrée ». L’idée est de les regrouper ensuite dans de vastes nécropoles militaires et d’offrir une tombe identique à chaque jass (surnom du soldat belge de 14-18). Cette solution – moins onéreuse – est présentée comme égalitaire et la plus juste pour les proches des disparus.
Les familles des soldats morts ne l’entendent pas de cette oreille. Elles désirent, plus que tout, récupérer les corps et se battent pour qu’ils soient ré-inhumés dans les cimetières communaux. L’Etat refuse. Le débat enfle. Evoquant notamment des difficultés de transports ou d’hygiène, l’Etat belge juge l’opération « matériellement impossible ».
Face aux pressions de l’opinion publique, le gouvernement finit par céder. La Belgique emboîte alors le pas aux Etats-Unis et à la France : les corps des jass seront restitués aux familles qui le demandent.
Dès 1921, les cercueils sont convoyés à travers le pays. Ce retour des morts constitue un véritable soulagement pour les proches. D’aucuns peuvent – enfin – entamer un travail de deuil. Les honneurs militaires ayant déjà été rendus pendant le conflit, c’est au tour des autorités locales d’organiser un hommage civil en grande pompe. Après ces funérailles – à la fois officielles et familiales – environ 50 % des soldats sont enterrés dans un cimetière civil. Les autres jass reposent dans une vingtaine de cimetières militaires ou 80 carrés militaires intégrés aux cimetières communaux.
L’idée de vastes nécropoles nationales est définitivement abandonnée. Les cimetières communaux prennent le pas sur les cimetières militaires. Certains rituels comme l’appel aux morts « personnalisent » des cérémonies très solennelles. Ces rassemblements permettent aussi de resserrer les liens entre les survivants. Malgré l’hommage national rendu au Soldat inconnu dans la capitale (1922), les commémorations revêtent essentiellement une dimension communautaire, locale.
Le même processus est d’ailleurs observable à propos des monuments aux morts. Alors que le gouvernement voulait construire un monument national de la Grande Guerre à Bruxelles et décourager la création de mémoriaux épars, chaque ville, village, école, paroisse va ériger SON monument à SES morts.
Le nombre de monuments aux morts explose ; le rêve de l’Etat d’une mémoire belge et uniforme vole en éclats. Engendrant des mémoires plurielles. Des mémoires à la fois militaires et civiles, nationale, régionales et locales, renvoyant aux multiples expériences des Belges durant la Première Guerre mondiale.
Stéphanie Claisse
Docteure en Histoire, Attachée scientifique à l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique