Pourquoi commémorer la Première Guerre mondiale ?

Pourquoi commémorer la Première Guerre mondiale ?

De multiples raisons peuvent pousser les autorités publiques à commémorer un événement du passé. Ces raisons peuvent être à la fois politiques (autolégitimation du pouvoir, renforcement d’identités collectives enracinées dans le temps long, visibilité internationale), économiques (préservation et valorisation d’un patrimoine historique, développement d’un tourisme mémoriel) et citoyennes (mise en avant de valeurs identitaires, utilisation du passé comme pédagogie de la citoyenneté).

En effet, commémorer, c’est se souvenir ensemble d’événements passés en tant qu’ils fondent une identité collective, un être ensemble et un rapport au monde. On ne commémore pas tout et n’importe quoi. Il y a bel et bien un choix du passé qui implique des politiques de mémoire : en se remémorant le passé, on affirme des valeurs pour aujourd’hui. C’est dire qu’histoire et mémoire ne se recouvrent pas complètement. C’est dire aussi que, derrière les commémorations, certaines autorités peuvent parfois poursuivre des buts inavoués, légitimer des projets politiques polémiques, voire réveiller des identités meurtrières.

Cela étant, pour être efficaces, les commémorations doivent rencontrer une certaine demande sociale. Or, en 2014, dans de nombreux pays, les commémorations du centenaire de la Guerre 1914-1918 ont suscité un retour des mémoires collectives qui n’était pas seulement orchestré par un battage médiatique sans précédent. Les dossiers spéciaux de la presse ont été achetés, les documentaires télévisuels ont été regardés, les grandes expositions ont été visitées, etc. Ce retour peut paraître inattendu dans la mesure où la mémoire de la Deuxième Guerre mondiale, de la résistance et de la Shoah avait largement occulté celle de la Première. Il peut également paraître inattendu dans la mesure où pour la première fois il n’y a plus un seul témoin de cette immense catastrophe. Mais, précisément, c’est sans doute là que se dénoue le paradoxe. En effet, la plupart des adultes d’aujourd’hui ont côtoyé, connu, aimé des personnes qui ont vécu ces sombres événements. Et la plupart de ces adultes auront eux-mêmes disparu dans cinquante ans. C’est dire que les commémorations du centenaire sont les dernières où les liens affectifs directs sont encore présents. Or, l’engouement du public s’enracine pour une large part dans ces mémoires familiales. Soudain, on retrouve au fond d’un grenier ou d’une cave une correspondance de guerre, un carnet, des photos, un casque, toutes sortes de documents que l’on avait oubliés, mais qui disent les liens concrets et personnels avec ce passé douloureux. Un passé de plus en plus lointain sans doute, mais aussi un passé qui continue d’émouvoir et d’interpeller. Aussi bien, la demande du public vis-à-vis des historiens et des archivistes, des musées et des médias, des politiques et des tours opérateurs est à la fois locale et générale. Il s’agit bien de pouvoir enraciner les histoires familiales ou locales dans un cadre plus global qui interroge les fondements de notre monde actuel, rappelle la fragilité de la paix, de la prospérité et des droits humains, mais aussi la capacité des hommes à résister à l’oppression, à rester solidaires face à la pénurie et à la mort.

Tel a été le sens dominant des commémorations du centenaire de la Grande Guerre.
Laurence van Ypersele
Professeur à l’Université catholique de Louvain
Membre du Comité scientifique