LE DONON

BR01  Ensemble de stèles et d’anciennes tombes individuelles allemandes et françaises du Petit Donon

Ce cimetière d’altitude franco-allemand est situé sur le Donon. Il est établi sur une position géostratégique clé d’où l’on jouit d’un panorama splendide sur la montagne de Saverne au nord, la vallée du Rhin et la Forêt noire à l’est, et sur les grands étangs de la plaine lorraine à l’ouest. Situé alors sur la frontière franco-allemande, il est l’enjeu des premiers combats d’août 1914, à l’origine de pertes humaines importantes. Cette position explique donc sa configuration rare de cimetière épars allemand-français conservé dans son état originel.

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Les stèles du cimetière désaffectées se répartissent sur près de 62 ha, dispersées  en majeure partie sur le Petit Donon et sur les flancs orientaux du Donon. On lit dans ce paysage la volonté de donner à tout combattant une sépulture, ici individuelle, là partagée selon la dureté de la roche. La tombe commune à deux ou à trois, à six, jusqu’à 46, avoisine avec la tombe individuelle. Ce cimetière est remarquablement bien intégré sur le plan environnemental.

Le nombre de stèles sculptées dans le grès en place seraient au total de 143. Leurs inscriptions rappellent sa création par l’armée allemande, pour les Allemands, mais aussi pour les Français. Son mémorial naturel (roche en place) coiffe le sommet du Petit Donon. La cinquantaine inventoriée, se répartit sans plan, au hasard des variations pédologiques et géologiques locales. Cimetière de guerre, sa scénographie contraste avec le plan géométrique de la nécropole française voisine de Grandfontaine. Insolite par sa nature, sa morphologie, ce bien est exceptionnel et unique sur ce front. Dispersées dans la forêt domaniale du Grand Donon sur ses flancs et ravins, surtout dans la forêt communale de Wisches, les tombes reflètent l’inégale dureté de la roche ainsi que la présence de loupes ou de coulées d’éboulis. C’est le seul cimetière du front conservé dans un état proche de son état originel jusqu’à nos jours, créé par les Allemands où l’on observe l’absence d’un plan rigoureux, la géologie du lieu leur dictant. Les stèles sont concentrées par zones soit à proximité d’un chemin en général, soit très isolées. Chaque stèle est constituée d’un bloc de grès qui porte une inscription mentionnant la nationalité du soldat ou des soldats, leur grade parfois, leur unité d’appartenance, leur décoration. Il est rare que l’identité figure, mais cela arrive. On lit par exemple, les noms des deux Français : Dissard et Gaudin (stèle 18). On inhume individuellement le combattant inconnu (stèle d’un chasseur français anonyme). Français et Allemands sont traités de la même façon.

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Chaque stèle ou pierre tombale porte un numéro de série. Ce numéro est situé sur la surface plane. Parfois, il ne figure pas sur la même face que l’inscription. L’inscription est toujours en allemand et en lettres gothiques. Les tombes des soldats allemands portent souvent un motif sculpté représentant approximativement une croix de Malte, semblable à la croix allemande appelée Balkenkreuz  et à la décoration appelée Croix de fer (Eiserne Kreuz), distinction prussienne remise aux militaires de tous grades.

Ce cimetière possède son grand mémorial sculpté dans la roche en place vraisemblablement en 1916. Le rocher porte une inscription commémorative gravée en lettres gothiques sur la paroi : « Zum ewigen+Gedächtnis der am 21.August 1914 hier gefallenen siegreichen deutschen Soldaten des 40.109.11.112.120.R.1.R. u. 4.Komp. des 13.Pion.Batl. ». La signature du sculpteur est dans un cartouche séparé : Gefr. Gebhardt. Ce mémorial avec les numéros d’unités commémore les morts :

– de la 26.Reserve-Division (Wurtemberg) : 119, 120.I.R. + 4e compagnie du IIe bataillon issu du 13e bataillon de pionniers ;- de la 28.Reserve-Division (Bade) : 40, 109, 111.I.R.

Dès 1915, est exprimé ici ce même souci de rendre hommage aux combattants qu’en Lorraine annexée. Des cérémonies s’y sont probablement déroulées dès 1914. Le cimetière compte d’autres mémoriaux moins remarquables, dont  une stèle située au col Entre–Deux -Donon, la « SCHUBERT-STEIN » ; stèle en grès de dimensions modestes (1,20 m de haut par 1 m de large), elle porte cette inscription : « SCHUBERT-STEIN/DIE 5.ERS.BATT. FUSSART. REG.13/DEM ANDENKEN/DER AM DONON GEFALLENEN/TAPPEREN KAMARADEN/JUL1915 ». Sur un bloc gravé figure le nom du sculpteur, Gebhardt. Ludwig, et la date de sa présence sur le site : 1916.

Les soldats français rejoignent dans ce culte les Allemands. Sur la partie ouest du rocher sommital du Petit Donon est fixée une plaque commémorative plus récente portant l’inscription suivante : « À la mémoire éternelle des Soldats français du 21e Bataillon de Chasseurs à pied tombés ici victorieusement le 20 août 1914 et de leurs camarades des 21e et 57e  Bataillons du 17e Régiment d’Infanterie et de la compagnie du Génie du capitaine Petit tombés glorieusement le 21 août. Ces héros sont tombés pour que le monde connaisse un jour une paix éternelle ». On observe sur la tranche de la plaque les initiales « F.W. » D’autres inscriptions figurant au sommet du Grand Donon et du Petit Donon témoignent de commémorations dans chaque camp.

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Le Donon est occupé le 14 août 1914 par les troupes de l’armée de Dubail. Il doit être évacué le 21 août après l’échec de Morhange et de Sarrebourg. Plusieurs centaines de soldats français et allemands sont tombés au cours de ces combats. Fortifié, le Donon devient une plaque tournante des communications allemandes jusqu’à la fin de la guerre.

Depuis 1870, le Petit Donon et le Donon, appartiennent au Reichsland. La frontière franco-allemande est proche. La bataille oppose les forces françaises et allemandes et se solde par la victoire allemande. Elle a essentiellement lieu au Petit Donon, au col Entre-les-Donon et à la cote 707, les 20 et 21 août 1914. Les combats ne durent que quelques heures, mais les pertes sont lourdes des deux côtés.

Beaucoup de morts, de blessés graves sont abandonnés par l’armée française sur le champ de bataille, la rapidité de l’évacuation du massif ne permet pas aux régiments de les ramener dans leurs lignes. Les pionniers allemands décident le 22 août de rassembler les blessés légers, les prisonniers et de les emmener sur Schirmeck. Les morts sont enterrés sur place (Français et Allemands) dans des fosses individuelles ou collectives, parfois dans des tombes individuelles, au fur et à mesure qu’on les retrouve. La chaleur est intense et la décomposition des corps avancée, des mesures sanitaires sont prises rapidement.

En 1914, des croix de bois sont plantées sur les tombes. Avant 1916, c’est l’organisation militaire territoriale locale qui s’occupe des inhumations, par l’intermédiaire des « Kommandanturs » locales. Après 1916, dans cette partie des Vosges, un service spécifique est chargé des cimetières. Il charge en 1916, Ludwig Gebhardt, Gefreiter, de sculpter pour toutes ces tombes des stèles confectionnées dans des blocs de grès trouvés sur place. Certaines inscriptions sont réalisées sur des blocs rocheux situés près des fosses communes. Chaque  stèle concernant une tombe allemande possède au-dessus de l’inscription une Croix de fer finement sculptée. Certaines unités françaises ne peuvent comptabiliser de manière exacte leurs pertes. Les tués, blessés, prisonniers sont alors classés comme « disparus ». Les restes des victimes françaises sont inhumées dans le cimetière militaire de Grandfontaine-Le Donon, créé en juin-juillet 1920. La plupart des corps sont mis en ossuaires. On y retrouve cependant les stèles de Dissard et de Baudry.

Le Donon est, dès cette époque, un haut lieu de mémoire si fréquenté, que tous s’opposent au lendemain de la guerre à ce que les corps des combattants français soient descendus à Labroque, prétextant qu’il y aurait toujours des passants pour leur rendre hommage. Cependant l’État français refuse de confirmer dans un premier temps la nécropole française du Donon et n’hésite pas à regrouper les soldats allemands à Senones et Labroque. Elle n’est reconnue que beaucoup plus tard.

Grâce à l’inventaire et au recoupement de ce dernier avec les registres de l’époque, on estime à 185 allemands et 327 français le nombre de tués au sommet du Petit et Grand Donon. Un certain nombre de soldats furent tués plus bas sur le flanc est et furent inhumés dès le lendemain à Wisches, par les habitants, sous le contrôle de l’armée allemande.

Le site a subi relativement peu de dégradations, une seule stèle a été martelée. Il se peut que des stèles aient été dérobées, d’où l’intérêt d’un inventaire et d’une plus grande protection du site. Sur les 180 stèles créées en 1916, les recensements effectués en 2015 et 2016 ont permis d’en retrouver 49.

Ce bien possède une grande valeur immatérielle. Un premier monument y élevé en 1915, puis un second monument commémoratif en 1916, actuel monument du sommet gravé par un soldat sculpteur. Les soldats français élèvent après-guerre leur monument commémoratif au sommet du Grand Donon. Ces monuments traduisent la confrontation de deux cultures différentes mais respectueuses devant la mort du héros, de part et d’autre.

Ce site grandiose est fort émouvant. Randonner en ces lieux suscite recueillement et réflexion. Cette invitation  au silence en fait un lieu de pèlerinage respecté par les touristes qui en font l’ascension et qui deviennent malgré eux des pèlerins.